Le Sage et le Dogue noir*
A Reims, comme le veut la tradition, le 19 mai 1364, Charles V est sacré roi de France.
A l’applaudimètre ou en notoriété, ce qui revient au même, ce Sage Charles V (c’est son surnom) est loin de figurer au hit-parade des souverains français.
Ouvrez un Larousse ou un Petit Robert et vérifiez.
On y consacre par exemple 25 lignes de biographie à Charles V quand il y en a plus de 300 pour Louis XIV, 150 pour Charlemagne ou encore 120 pour Henri IV et Clovis. Bon vous allez me dire que je le compare aux « cadors » de l’histoire. Mais, tenez, même le règne franchement médiocre de Louis XVIII obtient 75 lignes !
Au fait, vous le connaissez, vous, Charles V ? (Attention ne pas confondre avec Charles Quint de Habsbourg. Là je parle de Charles Cinq de Valois).
Hmmm ?
Pas trop, n’est-ce pas ?
En revanche vous devez connaître un peu mieux son connétable, Bertrand Du Guesclin.
Ah, lui on le connaît déjà mieux.
D’ailleurs, ce fier combattant obtient 40 lignes dans le dictionnaire, soit 15 de plus que son souverain !
Mais alors, me direz-vous, pourquoi consacrer un article à ce roi si peu célèbre.
Eh bien, modestement, pour tenter justement de le faire connaître un peu mieux et lui donner « une place » un peu moins injuste que celle que la postérité via nos manuels scolaires a bien voulu lui laisser.
Plaçons d’abord le cadre.
En 1364, la France est un pays dévasté :
- La guerre de 100 ans, qui a commencé 25 ans auparavant, est à l’avantage des Anglais qui ont pris ou repris beaucoup de territoires.
- Les campagnes sont régulièrement pillées et saccagées par les « grandes compagnies », ces anciens mercenaires qui errent partout en France.
- Le royaume a quasiment sombré dans la guerre civile par le fait des manigances de Charles de Navarre ou d’Etienne Marcel.
- L’économie est anéantie et la monnaie dévaluée
- Enfin un tiers de la population a disparu (la population française est passé de 18 millions à 12 millions) depuis la terrible épidémie de peste noire qui a ravagé l’Europe entre 1348 et 1352.
Ajoutons à cela que le règne désastreux de son père, le très chevaleresque Jean II le Bon, a définitivement vidé les caisses du royaume et nous avons là un bel héritage pour notre Charles V lors de son sacre à Reims, le 19 mai 1364.
Erudit, à l’opposé de son père qui aimait guerroyer, préférant les bibliothèques aux champs de bataille, d’où son surnom de Sage, Charles V va charger Du Guesclin de toutes les affaires militaires.
Habile politicien, n’excluant ni la perfidie, ni la duplicité ni même parfois la cruauté, Il va en seize année de règne réhabiliter complètement le standing du royaume de France.
Grâce à son ami connétable, il va mettre fin aux « grandes compagnies ». Il va annihiler l’ambition de Charles de Navarre. Et il va récupérer la totalité des terres perdues aux Anglais par son père et son grand-père.
Entouré de « ses marmousets », ses conseillers, Charles V assoit donc fermement la couronne des Valois sur la trône de France. Il restaure l’autorité royale basé sur l’état de droit, il créé la première bibliothèque nationale, il protège et accroit les universités et il instaure une politique de monnaie forte.
En habile diplomate, il va s’entendre avec les Anglais pour observer une trêve de la guerre qui les oppose ce qui lui permet de relancer l’économie dans un pays qui est enfin débarrassé de tous les fléaux qui la rongeaient.
Si bien que le 16 septembre 1380, lorsque Charles V meurt à 43 ans (seulement 2 mois après son très estimé connétable Du Guesclin), il laisse plus de 17 millions de livre dans les coffres du royaume de France.
Pas mal, non, en seize ans seulement de règne !
Son fils aîné et héritier, Charles VI que l’on nommera bientôt le Fol, dilapidera tout l’héritage en à peine plus de temps que son père n’en a pris pour l’édifier.
Et à lui, on consacre quelques 30 lignes dans le dictionnaire.
Décidemment, quelle injustice existe-t-il parfois dans nos manuels pédagogiques !
*surnoms de Charles V et de Bertrand Du Guesclin